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FRANÇAIS

Entretien avec le cinéaste argentin qui lance un cri en faveur de la légalisation de l’avortement dans son pays dans le puissant documentaire “Que ce soit la loi” (Que sea ley).

Par Auteur

Texte de l’image.

« Il n’y a pas de retour en arrière dans la montée révolutionnaire des femmes. »

En 2018, le Sénat argentin a rejeté l’approbation de la loi sur l’avortement pour la septième fois. Des milliers de femmes sont descendues dans la rue pour défendre leurs droits, transformant leur revendication en une véritable clameur populaire. Juan Solanas (fils du cinéaste Fernando Solanas), a pris sa caméra et a commencé à enregistrer ce moment historique pour parler des conséquences de l’avortement clandestin. Le résultat est “La ola verde”, un documentaire urgent, aussi politique et vindicatif qu’inspirant.

Quand avez-vous commencé à vous intéresser aux conséquences de l’avortement illégal dans votre pays ?

Ma famille avait été exilée en France quand j’étais enfant parce que sinon les militaires nous auraient tués, et j’ai grandi là-bas. Vers l’an 2000, on m’a raconté l’histoire d’une femme argentine morte des suites d’un avortement clandestin et, dans mon ignorance, j’avais pensé que c’était quelque chose qui avait déjà été surmonté. J’ai donc pris conscience de la situation et j’ai commencé à faire des recherches pour écrire le scénario de mon premier film, “Nordeste”, l’histoire d’une mère célibataire en situation très précaire qui tombe enceinte et décide d’interrompre sa grossesse. Disons qu’à partir de ce moment-là, mon cinéma est lié à ce thème.

Et qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans “La ola verde (Que sea ley)” ?

J’ai commencé à suivre de manière obsessionnelle l’adoption du projet de loi en 2018 et il m’a semblé que le travail effectué par le mouvement pour un avortement légal, sûr et gratuit était très important. Et j’ai senti le besoin irrationnel de descendre dans la rue pour le filmer. Je pensais que, si la loi était adoptée, ce travail aurait été stimulant, bien qu’inutile, mais ce ne fut pas le cas, et ces images ont donc pris une autre valeur de lutte et de résistance.

Le documentaire se penche sur l’esprit combatif de cette marée verte dans les rues, mais aussi au Parlement avec ses partisans et ses détracteurs et, enfin, il se concentre sur des entretiens avec des victimes d’avortements illégaux qui ont réussi à survivre ou, à défaut, avec des parents qui ont dû subir la mort de leurs proches dans des conditions infrahumaines. Comment avez-vous organisé tout ce matériel ?

Tout d’abord, c’est un documentaire militant, mais ce n’est pas un pamphlet, ce qui est très important. J’étais convaincu qu’il suffisait de refléter la vérité. J’ai donc entrepris d’enregistrer cette réalité, en approchant toutes les parties, y compris les centres de résistance. J’avais une série de chapitres clairs : Croyance, Militantisme, Féminisme et Hypocrisie et double standards, parce qu’il y en a beaucoup, et c’est insupportable. Puis j’ai ajouté les pro-vie et la dernière section, Réalité, qui correspondait aux témoignages, je me suis rendu compte que cela fonctionnait mieux de l’intégrer dans la narration, en répartissant les confessions tout au long du film.

Il est très impressionnant que de nombreux médecins laissent mourir des patients parce qu’ils ont essayé d’avorter.

Je suppose que c’est un problème de formation, de concept absolu de la vie. Mais au fond, cela a à voir avec le patriarcat, qui est pour moi une façon de comprendre le pouvoir. Un moyen violent et facile d’imposer sa volonté. Et le médecin, dans ces cas-là, a beaucoup de pouvoir.

Mais ils condamnent une personne à mort.

Tuer et torturer, oui. En France, une amie m’a raconté que quand l’avortement était interdit avant 1972, un médecin lui a dit : “t’as ouvert les jambes, tu t’es fait plaisir et maintenant tu vas souffrir, je ne vais pas te faire d’anesthésie, crève”. Un mot de plus, un mot de moins, c’est ce que disent les médecins argentins en 2020. Je pense que cette attitude va bien au-delà de la foi que l’on peut avoir.

Que pensez-vous du recul idéologique sur la question des libertés dû à la progression de l’extrême droite ?

Au cours des cinq dernières années, nous avons assisté à une montée révolutionnaire des femmes luttant pour l’égalité. Et il n’y a pas de retour en arrière possible. Un salopard comme Weinstein n’a pas sa place dans cette société. Mais comme dans la nature, toute action entraîne une réaction. J’ai lu des déclarations d’hommes et de femmes de VOX (extrême droite espagnole) qui m’ont laissé pantois. J’ai l’impression d’un retour en arrière, à la pire des époques. C’est pourquoi nous ne devons jamais oublier d’où nous venons afin de ne jamais permettre à quiconque de remettre en question les droits que nous avons acquis. Par Beatriz Martinez / El Periodico

Fiche technique

QUE SEA LEY (QUE CE SOIT LOI) Un film de Juan Solanas

Documentaire / 1h27 / 2019 / Argentine

En Argentine, où l’interruption volontaire de grossesse est interdite, une femme meurt chaque semaine des suites d’un avortement clandestin. Le 14 juin 2018, les députés argentins disent ” oui ” à la légalisation de l’IVG. Le 9 août, par 38 voix contre 31, le Sénat rejette le projet de loi. Pendant huit semaines, le projet a été âprement discuté au Sénat, mais aussi dans la rue, où des dizaines de milliers de militants pro-avortement ont manifesté pour défendre ce droit fondamental. Que Sea Ley nous plonge au cœur de la lutte, à travers des témoignages de femmes et d’hommes arborant le foulard vert de la Campagne pour l’avortement libre. Il dresse un portrait des féministes argentines et montre l’espoir que leur extraordinaire mobilisation a fait naître en Argentine comme ailleurs.

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