C’est la vie de Cosme Alves Netto, un érudit du cinéma brésilien qui a dirigé la cinémathèque du MAM (Musée d’art moderne de Rio de Janeiro) pendant plus de trois décennies, et est considéré comme le gardien du cinéma national. Aurelio Michiles, réalisateur du documentaire nous parle du travail de préservation, de l’approche du film documentaire, des difficultés et des plaisirs de mener à bien cette entreprise, ainsi que de ses projets futurs.
Par Sonia Rocha
Comment est née l’idée de filmer l’œuvre de Cosme Alves Netto, est-ce pour préserver la mémoire et l’amour du cinéma ?
Aurélio : Ce n’était pas dans mes objectifs de faire un film sur Cosme, non pas qu’il ne le méritait pas… J’étais impliqué dans d’autres projets, mais malheureusement je n’ai pas pu avancer… et puis cette dépression post-projet a frappé, j’étais un peu à la dérive… En 2006, j’étais dans le jury de la Jornada da Bahia (un festival de cinéma) quand la mémoire de Cosme y était célébrée, et lors d’un dîner avec Thomaz Farkas et Rudá Andrade ils m’ont mis au défi de “faire un documentaire sur Cosme”. Et c’était comme une graine semée dans un sol fertile… Ce n’est que deux ans plus tard que je me suis dit que j’allais faire le film. Cinq années se sont écoulées pendant la mise en forme du projet et la mise en place des ressources nécessaires à sa réalisation. J’ai remporté un concours culturel de Petrobras, puis le PROAC – secrétaire à la culture de l’État de São Paulo… et puis rien ne pouvait m’arrêter. Entre-temps, avant que je puisse les interviewer, Rudá et Thomaz sont partis pour l’éternité et sont allés retrouver Cosme dans le ciel étoilé du cinéma.
Comment s’est déroulé le processus de sélection des extraits de films qui racontent des moments de la vie de Cosme ? Parlez-nous, si possible, de l’approche que vous avez choisie : raconter la vie du cinéphile Cosme Alves Netto avec des scènes de film (toutes tirées de films conservés), ponctuées de témoignages d’amis :
Aurélio : La narration esthétique-conceptuelle a été de choisir de raconter sa vie à travers des scènes de films courts… comme si sa vie était (et est) formée par ces films qu’il a regardés et aimés. C’est pourquoi il a choisi comme slogan de Tout pour l’amour du cinéma : “IL FAIT DES FILMS L’HISTOIRE DE SA VIE”. Et il ne pourrait en être autrement, puisque nous avons affaire à une personne qui a vécu plus longtemps à l’intérieur d’une cinémathèque que dans sa propre maison.
Cosme respirait les films, le cinéma, il ne mesurait pas les difficultés, au contraire il risquait sa vie pour vouloir préserver la mémoire cinématographique, surtout brésilienne/latino-américaine. Le fait que les cinémathèques soient devenues un lieu reconnu où nous pouvons retrouver une partie de nos souvenirs, ceux qui nous ont formés à partir du divertissement… nous pouvons dire que c’est l’un des héritages de Cosme, après tout il a donné sa vie pour que cette institution existe.
Le cinéma a toujours été pour moi une référence fondamentale pour comprendre la vie dans sa complexité… c’est une référence culturelle, existentielle, anthropologique… C’est peut-être pour cela que je suis attiré par la réalisation de films documentaires qui racontent un peu de cette histoire… ce qui s’est passé avec “Que Viva Glauber ! (1991), c’était le premier documentaire sur Glauber Rocha, le cinéaste fondamental du 20ème siècle, puis “O Cineasta da Selva” (1992) – l’histoire du pionnier du cinéma, non seulement de l’Amazonie, mais du monde entier et maintenant “Tout pour l’amour du cinéma”, l’histoire d’un personnage qui s’est préoccupé de garder et de préserver la mémoire du cinéma. Cette trilogie est arrivée ainsi par hasard.
Quelles ont été les plus grandes difficultés et/ou le(s) plus grand(s) plaisir(s) de la réalisation du film ?
Aurélio : J’ai rencontré Cosme, en fait c’est lui qui m’a rencontré… après avoir fait ce film sur lui je suis sûr qu’il était plus mon ami que je n’étais le sien. Lorsque, au début des années 80, il a entendu dire qu’un jeune homme issu d’Amazonas avait réalisé des documentaires à Manaus, il m’a envoyé un télégramme pour me dire qu’il aimerait me rencontrer. Puis j’ai reçu une lettre de Cosme disant qu’il serait de passage à Manaus et qu’il voulait me parler… à partir de là, c’était une complicité pour toujours. Il m’a toujours provoqué et nourri de défis, par exemple, après que j’ai réalisé le documentaire “Que Viva Glauber !” (1991), Cosme m’a téléphoné en me disant qu’il était maintenant temps de faire un film biographique sur Silvino Santos… Enfin, en 1996, lorsque nous avons réussi à réunir les fonds nécessaires à la production du film “O Cineasta da Selva”, Cosme, dont la santé était déjà très fragile… est décédé. Le film lui est dédié, et j’ai même tourné une scène en son honneur. Bien que Cosme ait été un protagoniste de l’histoire du cinéma brésilien entre les années 60 et 80, lorsque j’ai décidé de faire ce film, il était dans les limbes de la mémoire.
En juin de cette année, la Cinemateca de Cuba a organisé une exposition intitulée “Panorama del Cine Brasileño” avec des films des années 30 au 21e siècle et ils ont sélectionné la trilogie : Que Viva Glauber !, O Cineasta da Selva et Tudo Por Amor Ao Cinema. Nous parlons de la sortie du film, mais alors qu’il était encore en cours de finalisation, le film a été invité à ouvrir le “Festival international de documentaires It’s All True à Rio (2014)” et a reçu un accueil exceptionnel de la part du public et des critiques, de là se passait sa trajectoire à travers les festivals de cinéma, suscitant toujours de fortes émotions. Cela a été très gratifiant, c’est ce que tout réalisateur souhaite pour son travail, n’est-ce pas ?
Comment les personnes interrogées ont-elles été choisies ? Combien de temps a duré le processus de production, entre l’idée, le scénario, la sélection des films, des personnes interrogées et le produit final ?
Aurélio : Un film documentaire est comme le mythe grec d'”Ariane” dans le labyrinthe du “Minotaure”… nous commençons avec une idée, mais au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans le sujet, de nombreuses possibilités narratives émergent et le défi consiste alors à choisir un chemin, sinon nous courons le risque de nous perdre au milieu du labyrinthe… et alors le “Minotaure” fait ses dégâts, n’est-ce pas ? Avec ce film sur Cosme, il n’en a pas été autrement… un Amazone qui s’est installé très jeune à Rio de Janeiro et qui est devenu le plus ancien directeur de la Cinémathèque du Musée d’art moderne et plus encore… a transformé cet espace en une référence d’effervescence culturelle, un véritable fleuve amazonien d’idées et de créativité. Tout cela en plein milieu des années de dictature, quand tout était interdit et que défier cet interdit était risquer la mort. En m’enfonçant dans le labyrinthe de Cosme, j’ai rencontré une foule de personnes qui le connaissaient et chacune d’entre elles avait une “cause cosmique” à raconter. Cosme était aimé, admiré et même adoré… tant au Brésil qu’à l’étranger… J’ai reçu (jusqu’à aujourd’hui) des e-mails de personnes qui l’ont connu et qui ont “une histoire incroyable à raconter” … Il y avait plus de 70 témoignages… des amis qui vivent à Rome, au Chili, en Argentine, au Pérou, au Panama, à Cuba, au Venezuela, à Berlin, en Colombie, au Mexique, en France, au Portugal et dans tout le Brésil (nord, sud, est et ouest). Et comme nous avions un budget limité, nous avons opté pour certains… Dans l’édition finale, c’était moins de la moitié. La plus grande curiosité était de découvrir son charisme irrésistible, à tel point que j’ai fini par le définir comme “cosmico-causal”. J’ai dû regarder (en me basant sur) des commentaires et des listes faites par Cosme sur ses 10 films préférés, plus d’autres qui s’ajoutaient à plus d’une centaine, plus d’autres que j’ai décidé de regarder de mon propre chef… dans ce processus, il y a eu quelque 157 films sur les 5 ans qu’il m’a fallu pour le faire.
Quelles sont vos attentes par rapport à la sortie de “Tout pour l’amour du cinéma” sur sa diffusion ?
Aurelio : Voici un sujet typique du “Labyrinthe du Minotaure”. Cette exceptionnalité ne fait que nous réjouir. Il faut que l’on assimile cette demande de démocratisation de la production audiovisuelle. Maintenant, il faut dire que cette difficulté est peut-être plus présente à Manaus, par exemple, mais, néanmoins, sur tout le territoire national, les cinéastes brésiliens luttent pour que leurs films atteignent le circuit des exploitants. Les documentaires alors… sans compter que, paradoxalement, le Brésil est aujourd’hui le pays où l’on projette le plus de films documentaires. Aujourd’hui, rien ne justifie que des villes brésiliennes d’une grande importance économique et culturelle ne soient pas en mesure d’exposer la diversité de notre production cinématographique. Il doit y avoir un espace (bien sûr) pour les films dits “Blockbuster”, mais il est également nécessaire d’avoir un circuit qui donne une visibilité à cette diversité, non seulement des films brésiliens, mais aussi des films produits dans différents pays (Amérique latine, Afrique, Asie, indépendants européens et nord-américains)… Maintenant, le fait de pouvoir montrer mon film dans le circuit commercial, pour moi, a une plus grande dimension, pour pouvoir montrer Tout pour l’amour du cinéma, à Manaus… à mes égaux, dans le lieu où je suis né. C’est un rêve que j’espère pouvoir répéter, non seulement pour moi, mais aussi pour d’autres cinéastes d’Amazonie…
Quels sont vos futurs projets ?
Aurélio : Il est difficile de parler d’un projet en cours (futur) quand on est concentré, avec toutes ses énergies, à rendre visible une production qui a demandé 5 ans de travail. Nous, les cinéastes, avons toujours plusieurs projets dans notre tiroir, dans notre mémoire et d’autres en cours de réalisation. J’ai bien l’intention, en 2017, d’être ici, dans ce même espace, pour vous parler de mon film “Le rugissement de la mer dans la jungle”.